Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Monsieur le Ministre,
Chers Collègues,
La question que je veux poser devant la Nation, c’est de savoir si la Constitution française mérite, voire exige, une révision d’ensemble.
Ce n’était pas le point de vue du Président de la République lorsqu’il était candidat. Il avait certes parlé de quelques ajustements qu’il voulait faire, mais c’était pour ajouter qu’il ne fallait pas changer les institutions de la République.
Ce n’est visiblement pas non plus le désir des Français. Tous les sondages montrent depuis 50 ans que nos compatriotes sont plutôt fiers de leurs institutions. Et comme le disait Nicolas Sarkozy lors de son débat avec Madame Royal « je n’ai jamais vu dans une réunion ou dans la rue, quelqu’un m’arrêter pour dire : vite, il faut changer les institutions de la République ! »
En réalité, il y a deux catégories de gens qui en veulent à notre Constitution.
Il y a d’abord la gauche. M. Montebourg nous en a fait, hier, la démonstration brillante en lui rendant un hommage d’une phrase, assorti d’accusations longues, répétées et d’ailleurs connues comme des litanies, pour excès d’autoritarisme, déficit démocratique et esprit monarchique.
Mais notre Constitution a d’autres adversaires, que l’on recrute généralement plutôt à droite. Ceux-là n’ont jamais aimé la Vè République, même s’ils ont été obligés de la supporter. Et, du coup, aujourd’hui, ils tirent du passage au quinquennat la conclusion qu’il faut passer au régime présidentiel. C’est d’ailleurs sur ce dernier point la thèse de notre Premier ministre qui, lui, pourtant est un authentique gaulliste.
Je récuse formellement cette vision des choses.
Après deux cents ans d’atermoiements, au prix de tant d’échecs et d’humiliation, notre pays, sous l’impulsion du Général de Gaulle, à la lumière d’une expérience douloureusement acquise et avec le concours de ses meilleurs dirigeants du moment, toutes tendances confondues, s’est donné en 1958 une Constitution originale et qui correspond au caractère propre du peuple français.
On nous dit aujourd’hui : il faut la dépoussiérer ! Mais où a-t-on vu qu’elle était poussiéreuse ? On nous parle de modernisation. Mais que signifie ce mot appliqué au fonctionnement des institutions de la démocratie ? Quelle est cette billevesée ? Les Etats-Unis ont établi leur Constitution en 1787, ils l’ont conservée depuis, à quelques rares adaptations près, comme leur bien le plus précieux. Et que dire des Allemands qui n’ont jamais touché à leur Constitution de 1947, pas même lors de leur réunification !
La fierté d’un peuple n’est pas de changer la Constitution en fonction des humeurs du moment, mais de la converser !
Le Président de la République et la majorité parlementaire ont été élus pour apporter à notre pays, malade de son immobilisme, les réformes économiques et sociales dont il a un besoin urgent. Pour cela et pour rien d’autre !
Or, voici que le Gouvernement nous propose un texte qui réforme, modifie, supprime, complète, réécrit ou transforme 36 articles sur les 71 qui, dans cette Constitution, régissent le fonctionnement de nos institutions. On est donc loin des quelques ajustements qu’évoquait le Président de la République durant sa campagne électorale !
Notre Constitution est comme le Code civil de Napoléon : un texte bref, remarquablement conçu, écrit dans une langue d’exception. Avec le projet qui nous est soumis, elle chemine lentement mais sincèrement vers son destin futur : un fatras confus et technocratique dont l’espérance de vie sera faible !
Je vous le dis franchement : je conteste formellement l’idée que notre Constitution doive être l’objet d’une réécriture d’ensemble, d’une révision générale et j’affirme que, ce faisant, c’est l’esprit qui l’a inspiré que l’on change, c’est l’équilibre qu’elle a instauré que l’on modifie.
Oh, certes, pas de façon brutale, claire ou avouée, non ! Mais de façon insidieuse, sournoise, discrète et par petites touches. Mais bien réelles ! Et, d’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement quand aussi bien le Président de la République que le Premier ministre ont théorisé depuis 2 ans l’idée qu’avec le quinquennat, il fallait reconstituer l’unité de l’exécutif, placer le Président au cœur de l’action quotidienne et reconsidérer de façon radicale la fonction de Premier ministre.
Eh bien, nous y sommes ! Notre Premier ministre le sait mieux que personne, lui qui vit tous les jours cette situation nouvelle !
La réforme qu'on nous demande d'accepter pour que le Président de la République puisse venir s'exprimer devant le Parlement, quel en est le but réel, si ce n'est de mettre en question le coeur même de la responsabilité du Premier ministre.
Le pouvoir donné au Parlement de donner son avis sur les nominations faites par le Président de la République, quelle en est la portée, si ce n'est d'instaurer un dialogue direct entre le Parlement et le Président, en faisant l'impasse sur le rôle du chef du Gouvernement en la matière.
On ne peut manquer de voir dans tout cela je ne sais trop quelle fascination américaine.
En tout cas, voilà la vérité ! La vérité cachée derrière cette réforme d'ensemble : le Président de la République qui rentre de plain pied dans la vie parlementaire, le Premier ministre qu'on efface, le Parlement qui voit ses pouvoirs renforcés (ce à quoi, bien entendu, je suis favorable) : il ne restera plus qu’à supprimer le droit de dissolution, lui-même déjà bien mal en point, pour avoir transformé la Constitution française en régime présidentiel !
Voilà ce que je combats !
Je ne conteste pas le droit du Président de la République d’exercer la fonction présidentielle comme il l’entend, la République en a vu d’autres ! La Vème République a connu 6 Présidents, chacun avait son style, sa façon de gouverner, sa conception du pouvoir, sa vision de la France. Nous les avons plus ou moins aimés ou respectés. Mais aucun n’a touché aux équilibres fondamentaux de la République. Si l’un d’eux l’avait fait, je suis convaincu que quelques grandes voix de notre pays se seraient élevées au nom de la permanence de la Nation et des intérêts supérieurs de notre peuple.
Aujourd’hui, ces grandes voix ont disparu ou elles se taisent.
Voilà pourquoi je suis là, Monsieur le Premier ministre. Pour vous mettre en garde, modestement, à la place qui est la mienne comme député élu du peuple et, si c’est possible, pour que vous nous rassuriez.
Intervention en séance publique à l'Assemblée nationale,
Discussion générale du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vè République, 21 mai 2008.