L’engagement militaire de la France et l’entrée de notre pays dans les structures militaires de l’Alliance soulèvent des questions de fond qu’il convient d’examiner avec le sérieux qu’elles méritent. Elles ne relèvent pas – ou ne devraient pas relever – de la confrontation Droite/Gauche ou Majorité/Opposition, mais de l’idée que l’on se fait du rôle de la France dans le monde et, par conséquent, des lignes directrices de notre politique étrangère.
Voyons d’abord l’affaire afghane. Lorsque nous y sommes allés pour accompagner l’intervention américaine de 2002, il s’agissait de déloger les talibans. C’est chose faite. Six ans après, nous voyons les limites et les risques de la poursuite de cette opération : d’un côté, les forces alliées sont incapables de contrôler la totalité du territoire afghan ; de l’autre, le conflit a changé de nature et s’est transformé, insensiblement mais sûrement, en un conflit entre l’Occident et le monde musulman, au même titre que le conflit irakien. C’est une logique doublement dangereuse : d’abord parce que c’est une guerre sans espoir de victoire, ensuite parce que ce n’est ni plus ni moins qu’un piège où s’enferment les Etats-Unis et leurs alliés, comme l’a fait l’Armée rouge il y a 20 ans sous le regard narquois de l’Iran.
J’avais pleinement approuvé les positions prises par Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle. L’évolution de la situation politique et militaire en Afghanistan est inquiétante. C’est pourquoi, il devient urgent de débattre avec nos alliés des buts d’une guerre vieille de six ans au moment ou nous voyons qu’à l’évidence elle tourne mal. En attendant, il est, au minimum, prudent de ne pas exposer l’armée française plus qu’elle ne l’est déjà. En outre, à mon avis, prétendre que l’avenir de la démocratie et la victoire contre le terrorisme se jouent dans les montagnes afghanes relève d’une rhétorique digne du Café de Flore !
Du coup, surgit la question de notre réintégration dans les structures militaires de l’OTAN, parce qu’à l’évidence les deux questions sont liées. Le renforcement de la présence militaire en Afghanistan n’est qu’un élément d’une stratégie d’ensemble du retour de la France dans l’Alliance. Le moins qu’on puisse souhaiter, c’est que cette stratégie, aux conséquences militaires et diplomatiques considérables, soit discutée à ciel ouvert devant la Nation et au Parlement.
Il faut remonter à 1995-1996 pour retrouver la dernière tentative de rapprochement avec l’Alliance. A l’époque, Jacques Chirac avait tenté d’obtenir de Bill Clinton un nouveau partage des responsabilités militaires qui nous soit plus favorable en échange de la réintégration de la France dans l’OTAN. En fait, nous réclamions que le commandement de l’OTAN en Méditerranée soit confié à un Européen. Ce fut un fiasco.
Tenter une nouvelle démarche est-il souhaitable ? Je ne le pense pas. Pour une raison majeure : c’est que l’Alliance atlantique, autrefois dévolue à la sécurité de l’Europe de l’Ouest face à l’Union soviétique, est désormais devenue une alliance globale, apte à intervenir sur l’ensemble de la planète selon les intérêts et les analyses de la puissance américaine. En même temps, les règles de fonctionnement de l’Alliance n’ont pas changé. Comment changeraient-elles, d’ailleurs, quand l’effort militaire est presque exclusivement l’affaire des Américains ? Dès lors, cette alliance globale nous entraîne dans un système de contrôle des USA sur la stratégie militaire et diplomatique des pays membres. L’Europe, malgré les apparences, y perd chaque jour un peu plus de sa marge de manœuvre. Elle se « blairise » !
Je considère pour ma part que nous devrions tourner le dos à cette attitude. L’Europe a une identité propre. Ses intérêts fondamentaux ne peuvent se dissoudre dans une sainte alliance transatlantique entièrement et nécessairement dirigée depuis Washington. En tout cas, avant de « rentrer dans le rang », encore faudrait-il d’abord examiner l’ensemble des paramètres du moment qui concernent la sortie du conflit irakien et les conditions de la paix au Moyen-Orient, et, au minimum, attendre pour en débattre que les Etats-Unis aient choisi leur futur Président, que l’Europe se soit dotée de ses nouvelles institutions – Présidence et Haut-Représentant – et qu’elle ait franchi le cap de l’élection de son Parlement au printemps 2009. Alors, peut-être, le moment sera-t-il venu du grand débat euro-américain !
Tribune parue dans Marianne, édition du 19 avril 2008.