Pour certains, la décision est prise. Pour d’autres, rien n’est moins sûr. Dans les couloirs des chancelleries diplomatiques, la rumeur d’une intervention militaire américaine en Iran alimente les conversations.
Il est vrai que les Etats-Unis montrent des signes croissants d’exaspération face au comportement des dirigeants iraniens et au premier chef le Président Mahmoud Ahmadinejad. L’Amérique de Bush, pour qui le souvenir cuisant du 11 septembre est encore vivace, ne tolère pas le défi lancé par l’Iran qui lui conteste son autorité dans la région. D’autant plus que pour nombre de dirigeants à Washington, le régime iranien n’est pas loin d’être considéré comme le premier responsable du chaos interminable qui sévit en Irak.
Et puis comment ne pas rappeler que le code génétique de l’Administration Bush, c’est-à-dire le néo-conservatisme encore très influent comme en témoigne le peu de cas fait du rapport Baker – Hamilton, le pousse à ne pas « perdre la face » et à exiger de l’Amérique qu’elle remplisse « son devoir moral » notamment vis-à-vis d’Israël qui semble également favorable à une intervention militaire. Enfin, sur le plan de la politique intérieure américaine, Georges W. Bush peut être tenté de créer les conditions d’une sortie brillante de ses deux mandats présidentiels en réactivant la guerre contre le terrorisme et le fondamentalisme, ce qui permettrait à un Républicain – comme Rudolph Guiliani dont les discours sont très agressifs – de l’emporter.
Est-ce à dire que la guerre serait une bonne chose ?
Avant toute chose il faut revenir à l’origine de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Depuis 2002-2003, la communauté internationale a placé l’Iran sous surveillance suite à la découverte, sur dénonciation d’opposants au régime, d’un programme nucléaire clandestin. Le rapport d’enquête qui devrait être rendu prochainement pourrait conclure que ce programme était civil plutôt que militaire. Dès lors, de deux choses l’une. Soit, Mohamed El Baradei, directeur général de l’AIEA, a tort, il ne fait pas bien son travail et il faut le renvoyer. Mais pour cela il faut en apporter la preuve précise. Soit, il faut se ranger à son avis et cesser toute cette mascarade. La situation actuelle fait penser à la période qui a précédé la deuxième guerre d’Irak. On en connait la suite désastreuse.
En outre, il faut prendre conscience, avant que toute décision soit prise, des conséquences d’une intervention militaire en Iran. Très certainement, le Moyen-Orient sombrerait dans le chaos. Le monde serait frappé par l’envolée vertigineuse du prix des hydrocarbures. Les Etats-Unis et l’Europe seraient durablement considérés comme l’ennemi, sans distinction. La funeste prophétie de Samuel Huntington du choc des civilisations serait alors réalisée.
Enfin, autre chose sur laquelle une large réflexion, sans tabou ni préjugé, devrait s’engager : que signifierait un Iran nucléaire ? Le plus souvent, la perspective d’un Iran nucléaire est comparée à l’Apocalypse. Pourtant, personne ne rappelle que le Pakistan, pays hautement instable et en conflit larvé avec l’Inde, a acquis l’arme nucléaire sans que cela n’émeuve outre mesure. Ce que l’on a pu constater en l’espèce, c’est que la détention de l’arme nucléaire par l’Inde et le Pakistan a engagé ces deux pays dans la voie de la négociation et de la coopération. Pourquoi ne pas imaginer le même scénario ailleurs ? En tout cas, la question mérite d’être sérieusement débattue et non pas rapidement évacuée comme elle l’est actuellement.
La guerre d’Iran n’est pas inévitable. A condition, bien sur, que chacun fasse preuve d’esprit de conciliation. L’Iran doit faire le premier pas ; à défaut, l’affrontement parait difficilement évitable. Mais la communauté internationale, Etats-Unis inclus, doit aussi, de son coté, aborder la question iranienne avec plus de disponibilité et d’ouverture. La recherche convergente d’un arrangement global dans la Région ouvrirait des pistes qui n’ont pas encore été sérieusement explorées. A mon avis, il n’y a pas d’autre voie possible.
Editorial paru dans Arabies, novembre 2007.