Les récentes déclarations du ministre français des
affaires étrangères ont jeté le trouble dans un dossier qui n’en a pourtant
guère besoin. Essayons de revenir aux enjeux essentiels pour tenter de
discerner les moyens de résoudre cette crise.
La crise a été provoquée par la découverte que l’Iran ne
respectait pas pleinement les obligations qui découlent du traité de non
prolifération nucléaire qu’il a signé librement. Depuis lors, il a entretenu
l’ambiguïté sur ses intentions. Les dirigeants iraniens ont su agir ainsi car les
Etats-Unis rencontrent de grandes difficultés en Irak et parce qu’ils disposent
de relais puissants dans la région qu’ils n’hésitent pas à piloter de plus ou
moins près comme le Hezbollah au Liban.
Recourir à la force militaire serait une aventure. D’abord
parce que cela provoquerait un chaos généralisé dans toute la région et dans le
monde avec un impact économique considérable. En outre l’idée qu’il y aurait un
choc des civilisations deviendrait une réalité. Or, une telle action militaire
ne mettrait pas un terme au programme nucléaire iranien : les sites sont
trop dispersés, enfouis, protégés, les ingénieurs trop nombreux, disséminés
pour que des frappes chirurgicales
soient efficaces. Au mieux on retarderait le programme de deux ou trois années.
Il faudrait alors envisager l’invasion d’un pays plus peuplé et trois fois plus
grand que la France. C’est absurde.
Ceci nous réduit-il à l’impuissance et à laisser
l’Iran se doter de la bombe ce qui pourrait avoir pour conséquence la fin du
traité de non prolifération outil central de notre sécurité collective ?
Non, à condition de comprendre véritablement pourquoi
l’Iran a adopté une telle stratégie. Trop souvent, des observateurs un peu
rapides réduisent la stratégie de l’Iran au verbe agressif de son président
Ahmadinejad. Or l’Iran est plus complexe qu’il n’y paraît, le pouvoir est le
jeu d’un équilibre subtil et instable comme le prouve la récente élection de
l’ancien président Hachemi Rafsandjani à la tête de l’assemblée des experts qui
dispose du pouvoir de révoquer le guide de la révolution.
Derrière cette complexité, un objectif domine : les
Iraniens veulent préserver leur indépendance. Nous l’oublions souvent en
Occident mais l’Iran se sent menacé dans son existence même : ses deux
voisins immédiats, l’Irak et l’Afghanistan, ont été envahis par les Etats-Unis
dans les conditions que l’on connaît. En outre, l’Iran n’oublie pas le long et
meurtrier conflit qui l’a opposé à l’Irak soutenu à l’époque par les
occidentaux. Enfin, les Etats-Unis continuent d’avoir comme objectif le
changement de régime à Téhéran.
Dès lors, envisager la guerre, comme cela a été fait, ne
peut que renforcer les craintes des Iraniens et contribuer à entretenir la
crise plutôt qu’à la résoudre.
Notre politique jusqu’à présent, au niveau européen et
français, a été de maintenir le contact avec l’Iran, de laisser ouverte la voie
du dialogue. Le nouveau président français a maintenu cette ligne même si le
ton a été plus vif, changement de style essentiellement.
Nous devons continuer cette politique en l’infléchissant
dans son aspect transatlantique. Jusqu’à présent les Etats-Unis se sont refusés
à un dialogue direct et stratégique avec l’Iran laissant aux Européens le soin
de dialoguer. Cette stratégie du good cop
(les Européens) – bad cop (les
Américains) a échoué pour la simple et bonne raison que les Européens n’ont
jamais eu de mandat clair des Américains et que les Iraniens attendent des
garanties directes des Etats-Unis qu’ils perçoivent – faut-il leur
reprocher ? – comme la seule menace immédiate à leur existence.
Il en résulte que pour sortir de la crise, la France et l’Union européenne doivent faire pression sur les Etats-Unis pour qu’ils s’engagent dans une négociation directe – y compris dans le cadre d’un forum élargi comme cela a été le cas pour la Corée du Nord – et globale c’est-à-dire qui conduise à un arrangement sur tous les dossiers : intégrité territoriale de l’Iran, sécurité d’Israël, non ingérence de chaque puissance chez ses voisins, etc. Dans ces conditions, l’Iran saura renoncer au nucléaire militaire et bénéficier du nucléaire civil dans le cadre d’un contrôle renforcé de l’AIEA.
Editorial paru dans Arabies, septembre 2007.