Le débat sur l'introduction en France de la « class action » est ouvert, et il est assez vif. Il fait notamment suite à la déclaration du président de la République au début de l'an dernier, qui exprimait son souhait de « donner aux consommateurs les moyens de faire respecter leurs droits ». Pour répondre à la préoccupation présidentielle, un groupe de travail a été installé par le gouvernement. Il vient de rendre son rapport sans toutefois faire de recommandations.
Les clubs Perspectives et Réalités, que je préside, ont récemment organisé un colloque à ce sujet. A la lumière des positions qui se sont exprimées, je suis arrivé à la conclusion qu'une telle réforme est nécessaire, afin de protéger les intérêts des consommateurs en leur donnant de nouveaux moyens de faire respecter leurs droits. Trop souvent les consommateurs renoncent à engager des actions judiciaires individuelles alors même qu'ils sont nombreux à subir un préjudice similaire et qu'ils ont le droit pour eux. Deux raisons à cela : la disproportion entre les frais de justice à engager et le préjudice individuel, et l'inégalité de situation entre un consommateur isolé dans la procédure et une entreprise aux moyens bien plus importants. En introduisant une action de groupe, l'équilibre pourra être rétabli, ce qui favorisera l'accès de la justice au plus grand nombre.
Cette évolution de notre droit est également souhaitable parce qu'une initiative européenne, sous la forme d'un Livre vert, est annoncée. Il s'agit de compléter le marché unique par une harmonisation des droits et moyens d'action des consommateurs. La France ne peut rester à l'écart d'un tel débat. Afin de faire valoir notre point de vue, il est préférable que nous ayons au préalable défini nos principes et, surtout, que nous en ayons fait notre propre expérience.
Si cette réforme est nécessaire, nous devons tout de même rester prudents. La mise en place d'une telle procédure soulève des questions délicates. La diversité des points de vue, y compris de la doctrine, traduit une hésitation qu'il faut prendre en compte. Les préventions des professionnels doivent également être entendues. Il est indispensable d'éviter les dérives que connaissent les Etats-Unis.
C'est pourquoi je suis en faveur de la mise en place de l'action de groupe à titre expérimental pour une durée initiale de cinq ans. Au bout de cette période, nous pourrons faire l'analyse des résultats de cette procédure et décider de la pérenniser, de l'amender ou de l'abandonner. Deuxième précaution : je propose que cette procédure soit réservée aux litiges ayant trait au droit de la consommation et de la concurrence. Bien d'autres domaines auraient pu s'ajouter (santé publique, environnement, droit des actionnaires, etc.), mais devant l'évolution de notre droit qu'implique l'introduction de l'action de groupe, il convient d'être prudent. Là encore, à l'issue de la période d'expérimentation, nous pourrons décider d'étendre ou non le dispositif.
Sur la forme concrète de cette expérimentation, notre objectif doit être de mettre en place une procédure d'action de groupe rapide et efficace, tout en préservant les droits de la défense.
Je considère que la procédure d'action de groupe doit être ouverte à tout groupe de consommateurs se sentant victimes du même préjudice et se réunissant dans une association ad hoc. Je ne pense pas qu'il soit judicieux de réserver cette procédure à des associations agréées, fût-ce de grandes associations reconnues. Cela conduirait à des difficultés importantes quant à la définition des critères d'agrément, et soulèverait inéluctablement des débats récurrents sur la représentativité des associations ainsi agréées. Toutefois, afin d'éviter les dérapages et les recours abusifs, je préconise l'instauration d'une phase préalable de certification de l'action. Il s'agit pour le juge non pas de rendre une décision sur le fond, mais, d'une part, d'étudier les demandes et déterminer si elles sont recevables et, d'autre part, de délimiter précisément le cadre et le champ de l'action.
La deuxième étape consisterait en un jugement au fond en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse. Dès que le jugement serait rendu, la publicité nécessaire à l'information des victimes potentielles serait organisée. Cela permettrait à celles qui le souhaitent de s'associer dans un délai déterminé par la loi à la procédure en vue d'être indemnisées de leur préjudice. Au terme de cette phase de publicité, le juge fixerait l'indemnisation de manière globale.
La dernière étape enfin consisterait en la répartition de l'indemnisation globale entre les différentes victimes associées à l'action de groupe. Il convient d'éviter que les juges ne soient submergés par le nombre potentiellement élevé de décisions à rendre. Aussi, il faut prévoir trois hypothèses alternatives à la discrétion du juge : il peut répartir lui-même les indemnités avec éventuellement l'aide d'un expert, il peut déléguer - sous son contrôle - cette répartition à l'association plaignante, enfin il peut décider, dans les cas les plus complexes, de confier cette charge à une autorité administrative, la Banque de France par exemple.
Expérimentation et précaution. Voilà les deux principes qui doivent nous guider pour réussir l'adaptation de la « class action » en France. Cette réforme aura sans nul doute un impact considérable dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Il faut donc s'y atteler sans délai.
Tribune parue dans Les Echos, édition du 3 janvier 2006.